
Trouvé sur Twitter
Voici un petit rappel sur la condition du migrant, qui est celle du dépoté, toujours l’âme entre deux cultures, chez lui nulle part. Pour cela nous prendrons l’exemple du migrant africain, qui est notre plus proche voisin.
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un chez-soi ?
C’est un pays, un territoire, des bois, une campagne, un ciel qu’on aime, une pluie qu’on aime, un soleil qu’on aime. Ce sont les voisins, le village, ses animaux, ses bruits, ses cris, ses chants, ses moteurs, les roues de ses charrettes, ses ânes. L’autocar, les cuisines, les odeurs qui montent des cuisines, tout comme celles qui montent des talus ou des fossés. C’est encore le vent, la nourriture, la langue, l’accent, la religion, l’éducation, et aussi la morale qui nous vient des mères. Et encore ce sont les amours, les amis, les rêves, les vergers, les dunes, les espoirs, les blagues et les poèmes. Le fleuve ou la lagune. Chez soi : là où on a poussé. Son petit pot familier.
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Des monstres m’ont forcé à fuir. Des poulets à un euro le kilo, des cochons à dix euros le quintal, du maïs à trente centimes la tonne ont envahi les marchés de mon pays et ruiné tous mes voisins. Ma famille et mes amis ont été trahis par des gouvernements de crapules, des collabos, des vendus. Chassé par les dettes, mon peuple erre d’un bidonville à l’autre, d’une capitale à l’autre, repoussé, démuni, exploité, méprisé, honni et redouté de tous les autres peuples qui se trouvent, comme le mien, en état de misère sous la botte de l’infecte Europe, cette Gorgone ennemie de toute activité qui n’est pas outrancière, onctueuse servante de la poignée de vampires qui a décidé de tout dévorer de ma planète.
Les accords douaniers entre l’Europe et les États africains ont détruit des millions de vies, avec la bénédiction de quelques familles de goinfres protégées par la France. Et les futurs Accords de Partenariat Économique UE-CEDEAO détruiront tout le reste. Renseignez-vous si vous pensez que j’exagère.
Malheur à qui, en outre, a sa maison bâtie sur un filon. On le déclarera terroriste, et ses enfants connaîtront de longs malheurs.
Alors, qu’est-ce qu’un migrant ?
C’est une fleur qui s’est arrachée à son petit pot tant aimé, c’est un être qu’on a exproprié, pourchassé, ruiné, forcé à dégager, pour toutes sortes de raisons liées au monde des avides, et qui sont aux antipodes de toute morale humaine. Un migrant, mes camarades, c’est une fleur qui a été coupée salement.
Vilaine blessure : les racines sont restées dans le sol, la tige saigne. En outre, maintenant que la fleur va sur les chemins, des tas de gens lui arrachent les pétales. À commencer par les gendarmes, les policiers : un pétale pour le racket. Les militaires, les bandits, les passeurs : encore un pétale. Et voici les camps de transit, les mines de sel, la prostitution intensive dans le Sahel : encore des pétales. La traversée du Sahara : encore des pétales et quelques éclats de tige. On boitille, on perd sa foi, la honte envahit tout. Dans ses rêves on demande pardon à la famille restée en arrière. Arrive la Méditerranée avec ses noyades, ses morts de soif et des tempêtes : encore des pétales. Les camps d’internement aux portes de l’Europe, les bagarres pour tout, l’humiliation permanente : les derniers pétales y passent.
Le migrant c’est une tige lacérée, avec un cœur chauve, et un dernier pétale déchiré. Le migrant pend, épuisé, au rebord du nouveau monde. Et il se trouve en cet endroit des gens qui ne veulent rien savoir, de purs salauds qui veulent l’écraser, et repousser son corps dans le vide.
Qu’est-ce qu’un migrant ? C’est un naufragé qui a parfois tout perdu en chemin : vertu, honneur, argent, estime de soi, foi en les autres ; et son dernier espoir est souillé par l’accueil qu’on lui fait.
C’est quelqu’un qui a tout quitté, à commencer par ses morts. Car oui, il a été obligé de dire adieu à ses ancêtres. Plus jamais il ne reviendra se recueillir dans le cimetière où reposent les siens. Un migrant, c’est quelqu’un qui a été forcé d’abandonner tout ce qui l’a construit socialement et psychiquement, et qui se détricote en chemin. Un migrant c’est quelqu’un qui saute dans le vide, qui se fait harceler par les démons pendant sa chute, et qu’enfin on reçoit sur des piques.
Ô croyants de toutes obédiences, priez bien fort votre foutu dieu de ne jamais avoir à migrer. Et vous, les athées, il ne vous reste plus qu’à tout faire pour ne pas avoir à vous soumettre aux vampires qui veulent votre vie et vos maigres biens. Raison pour laquelle il faut se rappeler que la fraternité n’est pas un vain mot ; c’est d’abord une prophylaxie. Nous y reviendrons.
Un mot encore…
À propos de la façon dont nous nous comportons. Puisque vous, les Français, semblez ne plus supporter la présence de ces gens réfugiés sur vos friches, et qui affluent en masses toujours plus désespérées, cessez donc de ne rien faire pour les empêcher de venir. Il vous suffirait de traiter le problème à sa racine pour qu’il meure, mais vous ne voulez pas, et votez toujours pour une Europe bien néolibérale, qui n’a que faire des ravages qu’elle commet jusque chez vous, du moment que l’actionnaire est bien gavé. Que doit-on alors penser de votre inconséquence ?
Se pourrait-il que vous soyez un peu welches sur les bords ? Heureusement le petit nombre des gens de cœur relève le niveau, en tâchant de réparer autant que faire se peut les immenses dégâts que votre indécente et moutonnière cécité engendre, et d’accueillir en naufragés plus qu’en parasites ceux qui sont naufragés d’abord, et parasites jamais ; car les parasites c’est vous, ô Welches, qui laissez vos multinationales profiter bien crasseusement de l’Afrique, sans vouloir assumer ses misères, et qui beuglez : « Puisque tu les aimes tant, tes nègres et tes bicots, t’as qu’à en prendre chez toi ! » Mais c’est souvent ce qui se passe, messieurs-dames qui râlez et ne faites rien. En toute illégalité bien entendu.
Harangue du migrant :
« Jusqu’à quand continuerez-vous à vouloir marcher sur la tête des autres ? Jusqu’à quand vous obstinerez-vous par tous les moyens à être plus que ceux qui vous côtoient ? Quel plaisir pensez-vous retirer à saboter la carrière de ceux qui vous suivent ou qui vous précèdent, ou à mentir pour vendre toujours plus ? À exploiter les richesses de ceux qui vivent sur les gisements, sans rien leur accorder ? À siphonner l’argent depuis la poche des faibles pour le déverser dans la poche des gros ? Vous n’avez donc jamais honte ? Tant que vous tous, derrière ces grilles qui nous séparent de vous, continuerez ainsi, à votre petite ou grande échelle, à pourrir l’existence de milliards de gens, proches sous-traitants ou villageois lointains, alors, les perdants, et aussi tous ceux qui ne veulent plus jouer à votre jeu vicieux, ou ceux qui n’ont pas seulement pu éclore, tous, déchets de votre course immonde, s’entasseront encore et encore et encore. Les montagnes qu’ils forment peu à peu vous étoufferont ! Voyez où ça finit, un éboulement de déchets en provenance du grand tas de merde : regardez-nous ! »

Bidonville à Nouadhibou, port d’émigration vers les Canaries, qui sont une autre porte de l’Europe. Image de Bertramz, octobre 2010 (CC BY-SA 3.0) sur Wikimedia Commons.