Où l’on devine qu’une vie dérégulée ne l’est pas pour tout le monde puisque nous autres, qui n’avons pas le pouvoir d’y échapper, croulons sous des règles qu’on nous impose, ou qu’on nous implante. Explications rapides à propos de cette « implantation »…
Deux recettes :
Quelques dizaines de milliers de parasites ont réussi à rendre tout à fait légale l’action consistant à faire naître dans le jugement de leurs milliards de victimes la conviction que se faire arnaquer est bon pour elles. Nous voyons ainsi – et chacun, de gauche ou de droite, pourrait en trouver dix exemples – des peuples s’appliquer avec constance et minutie à tout faire pour éviter de choisir ce qui est sage ou bénéfique, et se précipiter avec ardeur et en fanfare vers ce qui leur cause de la misère. Ainsi, souvent la solution la plus bêtement dispendieuse sera soutenue avec vigueur non seulement par ses promoteurs corrompus ou achetés, mais aussi par celles et ceux qui seront appelés, in fine, à tout payer pour avoir le plaisir de tout perdre. Les partenariats public-privé qui rongent les trésors des communautés en sont des exemples quotidiens.
Pour en arriver à obtenir un tel assentiment chez leurs victimes, alors même que toutes les évidences crient au voleur, les parasites utilisent à outrance quelques recettes connues depuis longtemps, mais que de savantes études ont affinées jusqu’à l’art.
Première recette : « Calomniez, calomniez ; il en restera toujours quelque chose. » Prodigieusement efficace pour détruire la crédibilité d’une personne qui refuserait de se laisser tondre, et prétendrait défendre l’intérêt général ; les journalistes se précipiteront sur la calomnie, et la cible sera repeinte en ce qu’elle n’est point, par la simple magie d’un voisinage bricolé entre son nom et le qualificatif désobligeant, association qui sera répétée jusqu’à la nausée sous diverses variantes positives ou négatives : « Untel dément les accusations d’antisémitisme qui ont été portées contre lui » — « Alors Monsieur Untel, que dites-vous à celles et ceux qui vous accusent d’être antisémite ? » — « Bon, traiter Untel d’antisémite est probablement un peu fort, mais il faut bien dire qu’il prête admirablement le flanc à cette suspicion » — etc… Le couple Untel-antisémite fera ainsi, tranquillement et à son rythme, peu à peu tous les ravages possibles dans un endroit qui échappe à notre conscience, et dont pourtant nous dépendons en tout point : notre petit cerveau, qui est tellement friand d’associations. Pour bien fignoler l’attaque, il se trouvera évidemment cent bonnes âmes pour citer l’adage : « Il n’y a pas de fumée sans feu ! » Lequel adage est de plus en plus faux, mais voilà :
« Un mensonge cent fois répété devient toujours une vérité. » Seconde recette qui permet depuis au moins l’invention de la télévision de prendre les gens pour des buses, et de les transformer en imbéciles. Les techniques sont bien au point, grâce encore une fois à notre ami le cerveau, qui adore charger en conscience vive, jour après jour, ses dernières découvertes du genre A implique B. Et la conscience vive, c’est nous.
Comment cela se pratique-il ?
La répétition d’une association est à la base de cette manipulation. La publicité repose presque entièrement sur la constatation que le cerveau, organisé pour tirer des vérités possibles de tout ce qui traîne en matière de faits et de conséquences, utilise un algorithme qui généralement est plutôt efficace : deux phénomènes apparaissant simultanément pourraient bien avoir entre eux une relation soit de cause à effet, soit de similitude. Pour prendre une décision concernant ces deux phénomènes, le cerveau enregistre le nombre de fois où leur couple apparaît ; si l’hypothèse que les deux phénomènes vont toujours en couple n’est pas démentie au bout d’un grand nombre de tests, alors le cerveau considérera qu’une relation existe bel et bien, il qualifiera cette relation, et il vous la chargera un beau matin, sans crier gare. Par exemple si je vous écris un milliard de fois dans différents endroits que Madame Eva Joly est un monstre immoral, et si vous ne pouvez faire autrement que de me lire, alors vous pourriez bien un jour vous réveiller avec, bien ancrée dans vos petites certitudes que vous croyez vôtres, cette assertion que Joly est un monstre immoral ; assertion que rien pourtant ne vient étayer mais, le couple Joly-immoral étant apparu suffisamment de fois, le cerveau en a finalement inféré qu’il devait s’agir d’une vérité et, fort d’une expérience archi-giga-multimillénaire en matière d’optimisation du comportement, il vous a chargé de cette idée, qui semble représenter un atout évolutif. Après quoi si je vous demandais de venir écouter une conférence de ladite Madame Joly, vous vous récrieriez bien fort et m’enverriez paître, moi et mes invitations perverses. Le pire est que vous auriez la certitude – et une certitude en acier trempé – que ce dégoût vient de vous, et que personne ne vous l’a implanté. Alors que si, c’est moi, tralala.
J’ai fait une expérience…
Il m’est arrivé jadis de pratiquer sur quelques volontaires, lors d’une foire à Lille, en France, une expérience qui mit en évidence le caractère inoculé de telle ou telle idée fortement ancrée dans les caboches du plus grand nombre.
Sur une table étaient disposées deux bouteilles de soda à base de cola, l’une et l’autre remplie de liquides fabriqués par des grands industriels de la boisson gazeuse caramélisée. Disons que, dans la bouteille A, il y avait du Caca Cola, et dans la bouteille B du Pipi Cola (toute ressemblance etc.) Les deux contenants étaient occultés par de ces petits tressages qu’on met parfois sur les bouteilles pour abriter leurs liquides de la lumière ; les étiquettes étaient donc invisibles. Devant les contenants ainsi camouflés il y avait des gobelets jetables, et juste au bord de la table avaient été scotchés (retenez bien ce mot) deux sacs-poubelles.
Je commençai par inviter les chalands qui passaient à bien vouloir se prêter à une expérience, qui consistait à siroter gratuitement deux sodas à base de cola, et à me dire s’ils préféraient le liquide contenu dans la bouteille A, ou celui contenu dans la bouteille B. Dans une foire comme celle de Lille, les volontaires ne manquent jamais ; j’eus donc rapidement un joli groupe devant ma table. Comme en outre moi et mon compère vendions des rouges à lèvres, des réveille-matins et des chemises en vigogne, il y avait de quoi patienter en attendant son tour.
À chacun de mes cobayes, je demandai d’abord, avant de procéder à la dégustation, de me dire quelle marque lui semblait la meilleure : Caca Cola ou Pipi Cola. Puis je faisais goûter des échantillons des deux bouteilles, et je demandais alors quel échantillon, A ou B, semblait être le meilleur. Enfin, je signalai à mon cobaye qu’il eût à revenir dans quinze, dix ou cinq minutes pour entendre la proclamation des résultats, assortie d’un petit commentaire s’il s’en trouvait la matière.
Lesdits résultats furent effrayants. À peu près quatre cinquièmes de mon tout-venant de badauds déclara d’entrée préférer, a priori, le soda de Caca Cola. Dans ces quatre cinquièmes, les deux tiers au moins, après s’être prêtés au blind test, élurent la bouteille B comme étant celle remplie du meilleur liquide, pas mal d’entre eux déclarant même que le jus de la bouteille A était infect en comparaison. Et la moitié de ces deux tiers de quatre cinquièmes, lorsqu’ils apprirent qu’ils avaient, en choisissant B, élu le Pipi Cola plutôt que le Caca Cola, n’en voulurent rien croire et m’accusèrent de chercher à faire le magicien de foire. Je n’eus jamais le cœur à prononcer quelque commentaire que ce fût suite à ces révélations, ne voulant pas m’attirer les foudres d’une foule de gens à qui, de toute évidence, « on ne la faisait pas ». Et mon compère, qui voyait d’un très mauvais œil mes expériences psycho-gustatives, m’incita à replier fissa mes tréteaux et à me concentrer sur la vente des chemises avant d’attirer les flics sur mon foutu manège de gauchiste.
Je ne fis ainsi que trois séries d’expériences, concentrées sur le premier jour de la foire : une le matin, deux après manger. Aucune ne différa sensiblement ; globalement, les gens affirmaient préférer le Caca Cola, et là-dessus m’élisaient le Pipi Cola avec un air d’en savoir plus que moi sur l’art du bonneteau, et c’en était à pleurer.
La fabrication d’un goût :
Plantée ou planté devant la télé, vous découvrez soudain une publicité pour un produit gazeux aromatisé. Comme vous n’avez pas un amour immodéré pour les inepties, il est fort possible que vous vous leviez et alliez dans un des deux endroits où l’on se rend ordinairement en pareil cas : aux toilettes ou au réfrigérateur.
Mais vous ne vous levez pas toujours ! Parfois vous prenez sur vous-même, et décidez de courageusement subir. Erreur gravissime, car vous voilà victime. Votre cerveau va tout enregistrer ; c’est pour lui que le marchand s’active. Sur l’écran voici qu’une bande d’imbéciles des deux sexes danse mollement une vie ordinaire quand soudain, ayant décapsulé une canette de soda et bu de son liquide, l’un de ces gredins semble pétiller comme le jus qu’il ingurgite et se met en quelques secondes à exploser de bonheur. Les autres se précipitent et bientôt c’est toute la troupe qui s’est transformée en acrobates jeunes, beaux, éruptifs de santé et de joie forcenée, et vous les regardez en train de se démener sur tous les tons pour boire encore et encore de cette ambroisie sublime, que des êtres hyper sexués vous collent soudain sous le nez, en gros plan. Alors vous vous levez, hurlant de frustration devant la manière dont le marketing vous considère, et vous commencez à tenir des discours de rebelle adepte du recours aux forêts. C’est bien joli bravo merci mais il fallait commencer par fuir, ô pauvre bipède, car voilà : votre cerveau, qui n’est pas vous, n’en a pas perdu une seule miette, et s’est adonné à son occupation favorite : pratiquer des évaluations d’associations possibles (soda Machin / super jeunesse ?). Et le slogan final « Tagada Fraîcheur c’est le meilleur », ayant été promené peut-être pour la soixantième fois sous vos yeux, que ce soit sous forme de publicité imprimée ou d’une bêtise chorégraphiée, il devient de plus en plus probable qu’un matin vous vous réveilliez avec cette certitude souterrainement installée mais néanmoins inextirpable sauf par l’expérience : oui, Tagada Fraîcheur c’est quand même meilleur que les autres. Même si leurs pubs sont à vomir, bande de salopards.
Et comme tout le monde n’est pas rétif, rebelle ou ronchon, et que bien des gens sont même tranquilles et indolents, pour peu que le groupe qui produit Tagada Fraîcheur ait dépensé en publicités mille fois plus de dollars que son premier concurrent, qui produit Cool Tagadi, il prendra une place que nulle politique commerciale ne réussira plus à lui arracher. Vous êtes cuits, ou cuites.
C’est ainsi que des marques en viennent à devenir des noms communs : un frigidaire, un stylo bic, un velux. On en a tellement été gavé ! Du reste, qui peut me dire comment mes sacs-poubelles ont été fixés à la table de mes démonstrations ? Avec du scotch, lisez-vous. Eh bien non, c’était avec du ruban adhésif. Peut-être même un ruban adhésif transparent de marque Tesa. Mais comme Scotch est devenu LE dominant dans le marché du machin collant qu’on déroule, sa marque est devenue un nom commun, et même un verbe : poubelles scotchées au Tesa ! Je suis cuit, farci aux onomastismes.
Et il n’y a pas que moi. L’autre jour, dans une crêperie installée au fond du bocage breton, au pied d’un château médiéval dont vous avez eu en illustration la trombine, dans le silence magnifique de la campagne, avec juste de l’autre côté de la route (un maigre chemin à peine goudronné) le potager où poussait la salade que j’allais commander sous peu, je demandai à l’aubergiste de me servir un Breizh Cola, qui se trouve être une alternative parfaitement correcte aux options industrielles dominantes. Surtout que ce Breizh Cola est maintenant sucré à la stevia et non aux édulcorants cancérigènes habituels. Bref, sachant que monsieur mon aubergiste breton, campagnard, régionaliste et de gauche, ne servait « Que du Breizh Cola, Dieu merci », je lui en demandai une petite bouteille et passai à la suite : une galette à l’andouille et aux pommes de terre, un cidre brut de Ker Matignon, et ma petite salade du potager. Le gars s’en retourna vers la porte de l’auberge – j’étais en terrasse – et cria vers sa cuisine : « Oh Gwenaël ! Pour la 2 tu me prépares un Ker Matignon brut et un Caca Cola ! »
Caca Cola était devenu un nom commun, jusqu’ici au fond du bocage, jusque dans cette caboche rétive d’aubergiste breton, campagnard, régionaliste et de gauche.
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Transposez ceci en politique. Vous n’êtes pas sans avoir remarqué depuis longtemps à quel point le journalisme est devenu de l’info-spectacle. Tagada Fraîcheur c’est le meilleur, et Pipi Cola c’est du caca.
« Hey, vous n’allez quand même pas prendre ce dingue au sérieux ? »
Mélenchon=yéti — Gauche=folie.
Source : AFP pour Le Point.
Ne perdons jamais de vue que nos grands financiers veulent devenir les princes dynastes de cette planète. Ayant l’argent, ils ont le pouvoir occulte ; nos cerveaux sont entre leurs mains, et nous autres sommes à la merci de nos cerveaux. En outre, nous voyons que ces messieurs les vampires commencent à prétendre de plus en plus ouvertement que tout leur est dû. Apparemment qu’ils nous considèrent comme bien ligoté-e-s.