Comment qualifie-t-on l’action de prendre une phrase, de lui rajouter le début de la phrase suivante, puis de faire semblant de former avec le tout une seule phrase ? Un collage ? Une manipulation ?
Le 15 mars, Perraud & Arfi écrivent dans Mediapart :
La phrase clef du politicien français gît au milieu de son texte : « Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais […]. »
Mais quoi ? Mais, trois points de suspension, point final. Tout l’art consiste à écrire quelque chose d’irréprochable, quitte à être inélégant, du moment que le lecteur tout seul lise exactement ce que le journaliste veut qu’il lise, et qu’il n’a pas écrit.
Car la citation est rigoureusement exacte : il y a effectivement un “Mais”, suivi d’autres mots, que termine un point final, fermez les guillemets.
Mais quand l’esprit lit cette phrase, la fameuse “phrase-clef” du politicien, comment chante sa petite voix intérieure ? Elle chante rigoureusement les mots qu’on lui donne à lire. « Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais […]. » Elle ne lit pas les petits points de suspension, qui indiquent la présence d’une suite à ce “Mais” solitaire. Elle lit : « Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais […]. » Voilà ce qu’aurait proféré Mélenchon !
Mais quoi ? Mais des tas d’horreurs ! Les exemples abondent de “Mais” introduisant à des abominations ; le tout est de suggérer au lecteur de convoquer lui-même ces fantômes, qui sauront bien lui donner la chorale : « Ce n’est pas que les Juifs soient tous des voleurs. Mais […]. » ou bien, autre fantôme, l’éternel « Je ne suis pas raciste. Mais […]. ». Le lecteur en aura l’esprit souillé, tandis que Patrice Arfi en sortira les braies nettes : « Ce n’est pas moi, je n’ai jamais écrit cela ! » pourra-t-il dire, tandis que Perraud protestera d’un offensé « Votre procédé est indigne ! ». Et la victime sera désignée coupable, avec pour circonstance accablante qu’elle aura brandi spontanément un point Godwin que personne ne lui réclamait.
Voilà ce qu’ont fabriqué Arfi & Perraud, ce 15 mars dans Mediapart, sous le couvert d’un « parti-pris » qui ne respecte même pas les règles du genre puisque loin de proposer une interprétation de phénomènes, le texte, tout simplement, oblige le lecteur à se mentir à lui-même en manipulant des indices falsifiés. Ceci est une fraude vieille comme le monde, et qui sent à plein nez son scolaire laborieux. Mais comment faire autrement quand, de Schopenhauer, on a épuisé les ressources les moins grossières ?
Pour mémoire, voici l’extrait complet du texte de Mélenchon, cible de nos deux journalistes. C’est à propos de Nemtsov :
Libéral fanatique, ce grand esprit avait été félicité à l’époque par Margaret Thatcher lors d’une visite en Russie. Vice-premier ministre chargé de l’économie en 1997-1998, sa gestion servile à l’égard des injonctions du FMI provoqua le crash russe. Ce fut la plus terrible humiliation de la nation russe depuis l’annexion de l’ancien glacis de l’est dans l’OTAN. Voilà le bilan de monsieur Nemtsov. Cela ne justifie pas qu’on l’assassine. Mais cela devrait nous épargner d’être invités à l’admirer comme le propose grotesquement Le Monde.
Vous sentez bien qu’il n’y a pas de quoi étriper un chat. C’est pourtant cet extrait que les deux compères ont décidé de mutiler pour en falsifier le sens induit, en le déclarant au passage “phrase clef” du politicien. C’est-à-dire qu’ils en ont fait le cœur de leur réquisitoire.
Utilisant le cadavre à leurs fins obscures, Arfi & Perraud déroulent à partir de là un tissus de prétentions explicatives dont aucune n’est argumentée. Litanie de termes péremptoires dans lesquels chacun puisera à sa guise pour alimenter sa chaudière antimélenchonnienne :
M. Mélenchon ne salue pas celui qui devait mourir, en vertu d’une approche fulminante : Boris Nemtsov était un fourrier du libéralisme soutenu par les Yankees, pleuré par la presse bourgeoise occidentale ; sa mort embarrasse en premier lieu Vladimir Poutine. S’émouvoir de son exécution, c’est donc désavantager Moscou en se faisant l’allié objectif de Washington. Voilà comment une vision fanatique, des œillères dogmatiques, des réflexes pavloviens, privent M. Mélenchon de toute morale, éthique et politique.
« M. Mélenchon ne salue pas… » Or, Mélenchon salue : Le malheureux a été assassiné Place Rouge devant le Kremlin, la veille de la manifestation à laquelle il avait appelé en compagnie d’une autre grande figure de l’opposition, le raciste et antisémite Alexey Navalny. Plus loin : Quel besoin d’en rajouter à ce point ? Ne suffit-il que cet homme ait été assassiné pour déplorer sa mort ? Mais comme Mélenchon ne se roule pas par terre, c’est un monstre poutinophile.
Arfi & Perraud auraient pu s’appuyer sur un autre point pour déployer leur indignation. Par exemple, Nemtsov était-il vraiment un « voyou politique ordinaire » ? Certains, comme Olivier Berruyer, pensent qu’il y aurait matière à nuancer : N’oublions pas par exemple que Nemtsov était un des rares à n’avoir pas fait fortune à son poste… écrit-il dans son billet du 5 mars.
Moi aussi je pourrais nuancer, en faisant remarquer qu’il circule des images de Nemtsov où il a tout du plus crasseux voyou. Que penser de cette photo, par exemple, où il tripote le téton d’une femme qui marche à son côté ? La pauvre s’incline pour essayer d’atténuer la gêne, ou la douleur, qu’elle ressent sous cette pince intrusive ; et nous la voyons, malgré tout, réussir à sourire servilement… tandis que le visage de Nemtsov n’exprime, lui, que l’innocence débraillée de celui qui ne croit faire qu’une petite blague de mâle dominant. Je ne mets pas de liens vers cette image, car elle est à vomir. Les curieux sauront bien la piocher.
Il est temps de conclure.
Il fut une époque où je ricanais aux turpitudes dévoilées par le Petit Journal de Canal+. Puis j’ai découvert leurs montages, leurs falsifications, leurs scoops tissés de mensonges, et je n’ai plus su que penser de ce sur quoi j’avais ri jadis.
Le procédé est ici le même, à ceci près qu’au lieu de générer du rire il déverse de la haine. La cible en étant, à travers son porte-parole, toute la gauche pas lâche, requalifiée en gauche “autoritaire” : « La gauche autoritaire se satisfait de toute tuerie. La gauche autoritaire laisse aux belles âmes le soin de s’émouvoir. La gauche autoritaire interprète le monde là où s’apitoient les idiots inutiles. » Voyez les mots : tuerie, idiots, inutiles. Ah mais l’on convoquerait bien Pol Pot, sans oublier la Corée du nord ! Nous suggérerait-on d’introduire, en arrière-plan de notre indignation montante, l’existence d’un possible désir d’eugénisme dans les sales âmes de cette gauche-là ? « Nous n’avons jamais écrit ceci ! » protesteront les deux complices qui, pour avoir tordu l’esprit de leurs lecteurs, mériteraient un blâme public de la part de qui les emploie. Le silence de Mediapart et la défense molle de Plenel qui se fend le 6 mars d’un simple tweet plaintif, donnent à penser que ce journal, que l’on croyait libre, digne de remplacer le Monde au podium des références, ne serait qu’un énième journal d’opinion. Comment, alors, persister à lui faire confiance ? Je n’ai pas envie de lire un Petit Journal ; je n’ai plus envie de lire Mediapart.
je viens d’imprimer la lettre de désabonnement qui part demain
Moi je laisserai filer l’abonnement jusqu’à son terme, pour avoir encore le plaisir de lire les membres du Club. Quant aux articles… La méfiance s’apesantit, maintenant.
A reblogué ceci sur Le vent qui souffleet a ajouté:
Diaboliser ainsi Jean-Luc Mélenchon participe à la dédiabolisation du Front national, c’est irresponsable et triste…
Merci pour cette indispensable dénonciation de l’odieux procédé employé ici par Mediapart ! Incroyable manipulation/désinformation… au service de qui ?
On prétend, le bruit court, il se raconte que… Quelques personnes travailleraient à promouvoir la tendance Aubry. Moi je n’en sais rien, je ne comprends pas comment on promeut une tendance, je ne sais même pas comment savoir si c’est vrai, cette chose-là.
Je suis juste un chien de citoyen qui apprend jour après jour qu’aucun journaliste n’est sincère. Décidément nous sommes bien seuls. Enfin, il reste le M6R, qui a la vertu d’être transpartisan et pas téléguidé. Je vais tâcher de m’y impliquer, on verra bien ce qu’il en sort.