Gournia, ville de Crète

Septième billet sur la Grèce méridionale. Nous faisons encore un tour en Crète. Du reste, dans les mois qui viennent, nous allons y revenir assez souvent puisque beaucoup de mythes grecs s’appuient sur cette île. Or, vous comprenez bien que sans connaître même un tout petit peu les mythes on n’avance pas dans l’histoire, et que sans quelques bonnes teintures d’histoire le présent nous reste trop superficiel pour avoir de la personnalité. Mais, vacanciers, nous entendons jouir pleinement du moindre instant, et comment y parvenir si le présent nous échappe ? Donc, tôt ou tard, on va parler de Minos, de Thésée, d’Héraclès, des Héraclides et de leur retour, et donc de Sparte, et donc de Messène, et par conséquent de la foire agricole de la moderne Messini avec sa viande grillée et ses frites de compétition. Voyez comme tout se tient. Plus sérieusement, quand nous dégusterons un moussakas sur la terrasse d’un restaurant qui surplombe l’ancienne Messène, nous mangerons non point comme des incultes mais avec science et intelligence. Alors la bière de Santorin que nous siffloterons en regardant au loin le stade et son édicule à colonnes aura une bien meilleure saveur, croyez m’en. En attendant, voici

Gournia, ville de Crète

Nous avions jadis visité Knossos. « Il y faut un guide », nous avait-on dit. Et pas un imprimé. Un vrai qui cause. Nous avions compris pourquoi. Nous avions pris un guide, et nous avions bien fait.

Non pas que Knossos soit si labyrinthique qu’on puisse s’y perdre sans quelqu’un pour nous orienter, car le plan de ce palais montre assez qu’il y a une structure, et les circuits ouverts aux visiteurs ne sont pas si grouillants de possibilités. Certes, il y a mille endroits où cacher une vache, mais non, s’il faut un guide à Knossos, c’est surtout parce que le site a tellement été bétonné par les équipes d’Arthur Evans son principal découvreur qu’il vaut mieux, avant de passer au guichet, accepter les services spontanés et furtifs d’un cicerone illicite ; au moins aurez-vous le plaisir de bénéficier d’une bande son très inspirée, là où vous ne voyez que les horreurs commises par Evans et ses maçons. Mais Gournia… Ah, Gournia ! C’est sur la route qui longe la côte nord entre Ágios Nikólaos et Ierápetra. Arrêtez-vous, s’il-vous-plaît, à Gournia. Aucun Viollet-le-Duc enthousiaste ne s’est éparpillé sur Gournia.

Le nom du lieu, qui est récent, fait référence à ces pierres percées que l’on trouve un peu partout dans les maisons de cette ville, et qu’on peut décrire comme étant des abreuvoirs, ou des éviers, ou des avaloirs car après tout, comme les autres cités minoennes, Gournia disposait d’un bon système de canalisation des eaux usées. Quant à l’ancien nom, il a disparu depuis des millénaires. Songez que Gournia a vécu pendant l’Âge du Bronze, depuis le Minoen ancien pré-palatial (-2500 avant JC) jusqu’au Minoen récent post-palatial – son palais ayant brûlé en même temps que tous les autres palais de l’île, Knossos excepté. Gournia et son nom sont morts vers -1200 avant JC, alors que Rome n’existait pas encore.

Qui songe aux Minoens songe au labyrinthe. Les médisances athéniennes reposent ici sur une réalité franche, incontournable, indiscutable et tonitruante : chez les Minoens, on est souvent près de se perdre. Les pièces succèdent aux pièces ; les rues sont des ruelles, souvent ce sont des fissures, à peine des couloirs ; ça serpente, ça s’entortille, ça grouille comme à Knossos mais en plus exigu. On se croirait dans une ville faite pour des chèvres ou des taupes ou des lutins. C’est le labyrinthe.

Labyrinthique, ça l’est surtout quand tout est détruit, et qu’il ne reste plus que les arrachements. Comment, lorsqu’on se promène dans cette pente pleine de ruines, savoir ce qui est couloir et ce qui est rue ? Sommes-nous dans un patio ou dans une pièce fermée ?

L’aspect labyrinthique est accentué par la structure très compartimentée des blocs d’habitation. Ceux-ci ont des façades avec des redents, des saillies ; ils peuvent être parfois subdivisés en sous-blocs indépendants dynamiquement les uns des autres. Ces caractéristiques, associées au fait que les implantations minoennes se fondent toujours sur de la roche dure, indiquent le haut degré d’attention porté par les constructeurs à la sismicité de la région. En fait, si l’on reprend les principales recommandations anti-sismiques modernes et qu’on les adapte aux conditions de l’époque, on aboutit à cette constatation étonnée que le labyrinthe est profondément anti-sismique. Les Minoens, habitués à vivre sur des sols où la terre bouge fréquemment (la Crète bascule : l’ouest monte, l’est sombre), construisaient leurs villes de manière à ce qu’elles ne soient pas détruites pendant les secousses – voyez Poursoulis, Dalongeville & Helly : “Destruction des édifices minoens et sismicité récurrente en Crète (Grèce)”, dans Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2000, n° 4, pp. 253-266.

La ville est donc assise sur de solides fondations labyrinthiques faites de gros galets de calcaire roulés depuis les montagnes proches et qu’on trouve partout dans la région, particulièrement dans la plaine-couloir qui, entre Ierápetra au sud et le golfe de Mirabello au nord, sépare l’île en deux blocs montagneux. Sur ces fondations, les Minoens ont monté les murs et les cloisons de leurs habitations, faites d’argile et de poteaux, de chaux, de peintures joyeuses et autres crépis dont on retrouve, ici et là dans la région, des traces au hasard d’une visite sur tel ou tel site comme celui, très émouvant, de Vasiliki.

Gournia avait un port, et probablement des faubourgs, étagés entre l’acropole et la mer. On peut visiter ce port, qui est aujourd’hui bien difficile à imaginer car les installations qui en restent sont très abîmées : on devine un hangar, des fortifications avec des tours, des morceaux de rue pavée… Le tout est juché sur une couche faite de ces fameux galets, tandis que les digues, les jetées, les quais, ont entièrement disparu et n’existent surtout que dans les déductions des archéologues.

Juste à l’est de Gournia, on arrive à Pacheia Ammos, au fond du golfe de Mirabello. C’est un endroit plat, aéré, doté d’une campagne fertile où il fait bon s’installer. À proximité s’ouvre la faille impressionnante du cañon de Xa, qu’escaladent les agiles chèvres sauvages de Crète, et que descendent les randonneurs sportifs en compagnie de guides totalement amoureux de cette splendeur terrible et silencieuse.

FIN

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