Le point charnière

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Nantes, manif anti-NDDL. Policiers en civil de retour d’une expé casse, exfiltrés par les collègues.
Image trouvée sur Internet.

L’État a pour fin fond un tas de morts.
Jean-Paul Galibert.

Il y a toujours un moment où le masque tombe, et où l’horreur crue d’une situation ancienne apparaît au grand jour. À sa suite tombent bien d’autres masques, ribambelle de dominos qui s’abattent jusqu’au premier fusible à tenir bon.

Il y a quelques jours, sur le chantier d’une opération farcie de conflits d’intérêt, un jeune homme, qui s’occupait de plantes vertes, étant venu ici défendre et la loi et la nature contre les gendarmes et les politiciens, est mort lorsque sa colonne vertébrale a intercepté une grenade offensive.

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Notre dame des Landes : explosion d’une grenade offensive. Image trouvée sur Internet.

Les grenades offensives voient leur utilisation soumise à des procédures très strictes, tant elles sont dangereuses. Les autoriser en pleine nuit revient à faire fi du manuel, qui stipule en outre que des sommations doivent être lancées par l’émission d’un signal soit sonore soit visuel (fusée rouge). Rémi Fraisse est mort en pleine nuit ; personne ne prétend avoir lancé des fusées rouges d’une part, et d’autre part la grenade pourrait bien avoir été projetée depuis un cougar, en tir tendu puisqu’il semble qu’elle se soit retrouvée coincée entre le sac-à-dos du jeune homme… et son dos.

Les tirs tendus, qui furent innombrables lors des opérations menées contres les manifestants dans les jours qui suivirent la mort de Rémi Fraisse, ont toujours été interdits par le règlement. Mais les gendarmes sont tellement sûrs de leur impunité qu’ils n’hésitent jamais à tirer leurs flash-balls à l’horizontale, en pleine face, même devant les caméras. C’est ainsi qu’un manifestant, à Nantes, a perdu un œil ; et qu’un autre, à Nantes encore, vient de perdre son nez.

Ces cruautés ne se font pas de manière spontanée. On ne lâche pas les policiers et les gendarmes comme on lâche des molosses. On leur donne des ordres, et on leur signifie les limites des actions qu’ils auront à mener pour exécuter ces ordres. Dans tous les cas qui nous occupent depuis le début de l’année, des ordres ont été donnés pour contenir, corrompre puis réprimer des manifestations, par des moyens défensifs et offensifs dont les limites soit n’ont suavement pas été précisées, soit ont été reculées au mépris des lois et des règlements qui encadrent l’usage de la force.

Ces ordres sont transmis par la préfecture. Mais la préfecture ne les invente pas. Toute transgression – et il y a foule de transgressions manifestes, sous ce quinquennat – fait l’objet, de la part du subordonné, d’une procédure dite « PTC » (protège ton cul) : à savoir que le sous-fifre demande des instructions précises à son supérieur. Il est illusoire d’imaginer la naissance de la moindre initiative chez un policier lorsqu’il s’agit d’outrepasser une règle. Il est illusoire aussi d’imaginer qu’il se rebiffe face à l’illégalité de ce qu’on lui demande de faire : soit il n’attendait que ça, soit il est trop esclave pour savoir ce qu’est la dignité de la désobéissance, et préfère laisser à son uniforme le soin de se tenir droit à sa place.

Mais si la préfecture n’invente pas les consignes qu’elle donne qui concèdent aux gendarmes l’usage de la cruauté, d’où viennent-elles alors ? Elles viennent du ministère. Mais un ministre ne décide pas de ça tout seul ; il en réfère à son supérieur, qui est le premier ministre. Lequel, et c’est la moindre des choses, en informe son patron le président de la république ; ils discutent ensemble des retombées politiques, et l’accord est donné ou refusé.

C’est donc depuis l’Élysée qu’ont été lancées les grenades qui ont tué, et les balles qui ont mutilé. C’est donc aussi depuis l’Élysée qu’on lâche les policiers-casseurs sur les manifestants, pour fabriquer des délits. Voici un témoignage parmi des milliers d’autres que les gens s’échangent :

« Juste avant la mairie, la police a coupé le cortège en deux en lançant des grenades lacrymogènes et des bombes de désencerclement. J’étais à cet endroit-là à ce moment-là et il n’y avait aucune raison objective qu’ils interviennent là, les provocations n’étaient pas plus virulentes à ce moment-là. Ils ont choisi à mon avis de façon délibérée de faire foirer la manif. Après un temps d’hésitation, nous avons tous rejoint le gros de la manif par les petites rues et comme la police nous empêchait de passer rue de Strasbourg le cortège est reparti dans l’autre sens. Cours des cinquante otages, vers le milieu, la police à recommencé sa manœuvre en fractionnant à nouveau le cortège. C’est à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, que des groupes sont devenus plus virulents. La police nous a contraints à l’immobilité pendant plus d’une heure et demie, envoyant des lacrymos à chaque fois que le cortège faisait mine de se reconstituer, avant de réussir à faire monter en pression certaines personnes présentes et les pousser à s’en prendre violemment aux “forces de l’ordre” » – Denis 1601 sur Médiapart à propos de la manif en hommage à Rémi Fraisse. Et 1601 conclut : « Je suis convaincu que la police a agi de façon délibérée pour casser la dynamique de recueillement de la manifestation. Si, comme il aurait été logique dans un hommage comme celui là, la police s’était faite discrète et s’était tenue un peu à l’écart, il n’y aurait pas eu d’incident mais cela aurait donné du crédit et de la force à tous les mouvements pacifiques qui demandent des comptes à la classe politique et je pense que certains n’y tiennent pas trop… »

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Nantes, manif à Rémi Fraisse. Policier s’octroyant une petite pause entre deux rounds de casse et tabassage. Image trouvée sur Internet.

Voilà ce à quoi ont abouti les appétits d’un bureau d’études, la CACG, dont la mission fut de préconiser des travaux d’aménagement d’un barrage en terre pour que l’aménageur, qui est aussi la CACG, les fasse réaliser, la CACG étant aussi maître d’ouvrage. Ces petites incuries entre notables ont fait tomber ici quelques masques.

Citoyens, il vous revient de prendre la mesure de ce que cela signifie. Mathieu Burnel, ancien terroriste factice du fabriqué « Groupe de Tarnac », l’a formulé très clairement il y a peu : « Aujourd’hui les gens qui prennent au sérieux la question de leur environnement et la question politique, la police leur tire dessus. » – Ce soir (ou jamais !), émission du 31 octobre sur France 2. C’est le gouvernement, mes amis, qui vous tire dessus, quand vous vous dressez pour défendre contre lui les lois que lui-même a dictées et fait voter.

En conséquence, le temps est venu de prendre une décision. Car nous sommes au point charnière. Mathieu Burnel : « Face à cela il y a deux solutions : soit rentrer chez soi, abandonner ; soit tenir en échec, tenir en respect la police. C’est la seule et unique chose qui soit à la hauteur de la mort d’un camarade. »

Comment tient-on en respect la police ?

Mathieu Burnel vous dira que c’est en l’affrontant ; et cette option n’est pas à écarter du tout. Au Parti de Gauche, nous nous disons cependant – et c’est bien désolant de toujours devoir tenir le rôle du chieur terne – que des gens mal armés et mal entraînés, et qui, de surcroît, sont habitués à respecter les préceptes moraux que leur ont inculqué leurs mères, n’ont aucune chance de vaincre des gens suréquipés, bien entraînés, et relativement libres de scrupules. Lancez des pierres, vous recevrez des grenades. Lancez des grenades, vous recevrez des balles. Tirez des balles, vous aurez affaire à des mitrailleuses. Achetez des mitrailleuses et utilisez-les, vous affronterez alors des drones et des chars. Vous n’avez ni drones ni chars, ni hélicoptères, ni phosphore, ni rien. Et votre instruction militaire est dérisoire. Nul d’entre vous n’a reçu l’entraînement au combat et au malheur qui est celui, quotidien, des Kurdes et des Gazaouis. Derrière vos foulards, vous êtes nus.

Notre estimation est que, tout en ne méprisant pas les effets de contention que peuvent opérer sur les policiers et les CRS des feux de poubelles, des barrages d’artillerie caillasseuse et des barricades, le conflit ne doit pas se focaliser sur ces forces, qui ne sont que les forces serviles d’une clique de mafieux : les politiciens et leurs maîtres. Ceux-là sont des esclaves, ceux-ci sont nos cibles. Et ces cibles ne peuvent être touchées que par la politique. Les missiles sont complètement inopérants.

Rappelons-nous qu’en Tunisie, un bien plus féroce despote s’est retrouvé à genoux sous la pression d’une population désarmée et pacifique, sur laquelle pourtant tiraient les policiers, qui ont là-bas beaucoup tué.

Il revient aux citoyens qui ne sont pas encore tout à fait éteints de s’emparer de la politique, c’est-à-dire de la souveraineté, qui doit ne plus rester confisquée par les pires au détriment des meilleurs. La politique est votre affaire, et ses conditions d’exercice aussi. Taper sur des flics ne changera pas le quotidien ; immobiliser l’État et réinventer la république, si. Alors au travail, jeunes gens ; vous êtes arrivés au point charnière. Inventez-nous une Sixième qui soit la nôtre, à tous, et pas seulement à Monsieur le Député à vie et à ses bons copains de promotion. Le musellement des policiers suivra par la voie hiérarchique.

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État actuel de la démocratie. Image trouvée sur Internet.

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