Il y a quelques temps est arrivé le récit, écrit par une militante de la Confédération Paysanne, de son arrestation lors de l’opération menée dans la ferme dite « des mille vaches », sise en Picardie – il fut une époque, en France, où mille vaches suffisaient pour remplir un plateau et lui donner son nom sur les cartes de géographie ; aujourd’hui on en bourre une usine.
Je me propose donc de laisser la place à Madame Dominique Henry, ancienne institutrice devenue agricultrice aux côtés de son mari, qui va nous expliquer pourquoi elle combat ce projet. Mais tout d’abord, à l’attention de nos lecteurs non français, je vais brosser à grands traits le principe de cette usine afin d’éclairer le contexte au sein duquel se place la lutte, et je terminerai avec une remarque curieuse sur la qualité du lait.
Une usine à caca
Dans les environs de Drucat, dans le département de la Somme, un entrepreneur a imaginé d’ouvrir une centrale de production de méthane. Pour joindre l’astucieux à l’utile, ce monsieur décide que les unités de production de méthane seront des vaches, car une vache peut aussi produire du lait. Il suffit de leur donner à manger des choses qu’elles digèrent mal, et leur vie se passera à péter et à produire beaucoup de lisier. Il faut donc éviter comme la peste tout ce qui ressemble à une prairie. Vous pouvez en conclure que ces vaches-là ne verront jamais d’herbe autrement que trafiquée, noyée dans de l’oléagineux gazogène.
Tout ceci est autorisé. Enfermer des êtres vivants non humains dans des prisons à haute densité est légal, et n’indispose que les défenseurs des animaux, tandis que les climato-sceptiques applaudissent et que les partisans du développement économique s’extasient devant l’idée de produire beaucoup de merde à haut pouvoir calorique.
Ici s’interpose un problème économique : le lait fabriqué dans une telle usine devrait être, lit-on ici et là, 20 % moins cher que le lait fabriqué dans des exploitations plus classiques. La « ferme » va donc entrer en concurrence avec les fermes voisines, qui devront soit s’adapter, soit disparaître. Pour une quinzaine d’emplois créés, combien vont donc se perdre dans la région ?
Puis déboule un problème de santé publique. Car le lait produit (ou plutôt sous-produit) sera incomparablement plus toxique qu’un lait de vache laitière non méthaneuse. En effet, n’oublions pas que le but premier de cette usine est de fabriquer du caca, qui n’est pas une matière tout à fait inerte biologiquement. Il faudra donc bourrer ces dames, et leurs petits (pas de lait sans petits), avec force médications, dont on peut admirer la liste sur le site Légifrance. Dans ces conditions, le lait produit (ou plutôt sous-produit) par ces pauvres bêtes contiendra des tas de poisons que nos enfants boiront sans que cela soit indiqué sur l’étiquette : des antibiotiques, des hormones, des résidus de vaccins, des antiparasitaires etc. etc. etc. et une pleine page d’etc.
Tout ceci est autorisé. Les paysans locaux ne sont pas d’accord, les écologistes ne sont pas d’accord, les gens de gauche ne sont pas d’accord, et j’imagine que les parents d’élèves devraient commencer à s’inquiéter fortement.
Mais ce n’est pas tout ! Car figurez-vous que lorsqu’on pompe à haute cadence tout le lait que produisent des pis, ceux-ci parfois se gercent, parfois s’infectent et, malgré les interventions des vétérinaires, comme ils sont ordinairement soumis à une exploitation « optimale », ils finissent par sécréter du pus. C’est alors que l’attention portée aux vaches par les ouvriers, et la conscience professionnelle ou morale de leur patron, rentrent en jeu. Nous pouvons être raisonnablement pessimistes.
Oui mesdames et messieurs : s’il est bien une information qui est tue, c’est que le lait industriel contient un peu de pus. Imaginez donc ce que pourrait contenir le lait d’une usine à caca.
Raison pour laquelle je vous conseille de bannir les laitages de vos achats en grandes surfaces. Prenez du bio de proximité, et vous aurez du lait de vache à l’herbe, ce qui a tout de même une autre tenue. Et je laisse maintenant la place à Madame Henry.
Gardée à vue !
Quand j’ai entendu parler de cette action à l’usine des mille vaches, je n’ai pas hésité. Cet endroit où mille vaches et sept cent cinquante veaux et génisses seront enfermés en permanence me donne la nausée.
Le projet imaginé par Monsieur Ramery, entrepreneur en BTP déjà patron de trois mille cinq cent salariés, prévoit de produire de l’électricité à partir d’un immense méthaniseur alimenté par le lisier, le fumier, des résidus de céréales et autres végétaux. Le méthane libéré par la fermentation alimente un générateur électrique d’une puissance équivalente à vingt-cinq éoliennes. Le courant sera racheté par EDF. Encouragé par les primes, le méthane agricole est un nouvel agro-business. Le lait n’est plus qu’un sous-produit du lisier, du lait low cost, vendu à moins 20% du prix du marché.
C’est un projet démesuré, aux conséquences environnementales et sociales inadmissibles, pour le profit d’une seule personne : Monsieur Ramery, qui fait partie des trois cent cinquante personnes les plus riches de France. Et c’est un projet antidémocratique : le maire de Drucat, le village concerné, est contre et les villageois ont monté une association pour défendre leur cadre de vie : Novissen. Mais ils ne peuvent se faire entendre ; les agriculteurs, prônant une agriculture paysanne créatrice d’emplois et fournissant des produits de qualité, sont mis au rebut. Il est temps de provoquer un débat public sur l’orientation de l’agriculture dans notre pays. Action.
Mercredi 28 mai au petit matin, nous sommes une soixantaine motivés à nous approcher des immenses bâtiments. Démonter, dévisser, déboulonner, ne rien casser bien sûr. Tout reste sur place sauf une partie du matériel qui doit être remis à Stéphane Le Foll, qui déjeune le jour même à la Villette (Paris) avec Ségolène Royal. Un groupe part assez rapidement dans ce but.
Un ouvrier arrive, agressif. Bien sûr, c’est son outil de travail. Certains essaient en vain de discuter. Les journalistes arrivent, plusieurs d’entre nous sont interviewés. Les forces de l’ordre ne tardent pas et vont directement vers quatre personnes pour relever leur identité. Tous les militants présents s’étonnent et donnent leur carte d’identité, pour cette action revendiquée collectivement.
Dès que tous les journalistes attendus sont venus, nous décidons de lever le camp. En arrivant aux véhicules on aperçoit les fourgons qui déchargent les CRS. J’ai à peine le temps de comprendre qu’ils sont sur moi pour m’embarquer. Des militants s’interposent, montrent leurs outils, demandent à être arrêtés mais rien n’y fait. Je me retrouve embarquée avec trois gendarmes dans un fourgon qui roule à vive allure vers Hallencourt. Le temps est suspendu.
09h30. Je suis placée en garde à vue. Interrogatoire : Qu’est-ce que je faisais là ? Dans quel but ? Comment ? Etc. Une seule réponse : le silence ! L’adjudant tape plein de choses sur son ordi, me réinterroge, retape… Vu mon refus de répondre, les questions se font plus rares.
12h00. Je demande si j’ai le droit de manger. Ce n’est visiblement pas prévu. J’ai quand même droit à une barquette réchauffée d’une bouillie indéfinissable. Pour les toilettes je suis accompagnée, porte ouverte, super !
13h00. Transfert à Abbeville à un train d’enfer avec trois gendarmes. J’aperçois quelques manifestants à l’arrivée de la gendarmerie, ça réchauffe le cœur. Je ne sais pas combien ont été arrêtés. L’interrogatoire recommence. On me dit que si je ne dis rien la garde à vue va durer. On me laisse mon sac pour l’instant, je peux dessiner entre les questions.
Je peux voir mon avocat. Il m’explique que la garde à vue peut durer vingt-quatre heures. Je commence à comprendre que je dois m’armer de patience.
18h00. On m’emmène à une confrontation avec un ouvrier du site qui a photographié quatre personnes en action. C’est comme ça qu’ils ont choisi.
19h30. Convocation devant le substitut du procureur qui me reproche dégradation et vol en réunion. Ma garde à vue est prolongée jusqu’à 09h30 le jeudi.
On me transfère à Hallencourt pour la nuit. On m’ouvre la porte d’un « cachot » (comment appeler ça autrement ?) où je réalise que je vais devoir passer la nuit. Un sommier en béton, un « matelas » en plastique de 5 cm d’épaisseur, des couvertures de l’armée, un trou au fond pour les besoins (sans chasse d’eau). On me retire toutes mes affaires. On m’explique que je pourrais me suicider ; j’ai beau expliquer que je ne suis pas du tout suicidaire, que j’ai quatre enfants et six petits-enfants, rien n’y fait. Quand la lourde porte se referme sur moi (combien de verrous ? quatre au moins) je suis sous le choc. Je ressens une telle inhumanité. J’aime écrire, lire, mais on ne me laisse rien. Je suis face à quatre murs sales et à un trou. J’ai quelques instants le sentiment que je ne suis plus rien. Il ne s’agit pas seulement de privation de liberté, c’est autre chose ; dans quel but agissent-ils ainsi ? Je pleure un bon coup puis je m’organise pour gérer mon temps : quelques mouvements de yoga [ici, texte corrompu] Je réussis à dormir. Le lendemain matin je demande à faire ma toilette ; ce n’est visiblement pas prévu non plus. On me trouve deux lingettes minuscules. Pas d’eau.
Jeudi 29 mai 09h00. Retransfert à Abbeville. Je comprends que la garde à vue est prolongée de vingt-quatre heures. Je suis blasée. Mais les manifestants sont là, je les entends et je les aperçois même par la fenêtre, ça me réconforte. Ils ne désarment pas. Je vois sur les journaux laissés sur le bureau que le porte-parole de la Conf’ a été arrêté en revenant pour nous soutenir – j’apprendrai plus tard comment il a été plaqué au sol par les gardes du corps de Monsieur Le Foll et la violence de son arrestation. Les médias sont bien présents. Entre les questions je dessine : notre ferme, les champs, les vaches, chacune avec son nom et son caractère. Les militants me font porter des sandwiches, trop bien.
Puis c’est la douche froide : ils parlent de me remettre en cellule d’isolement. Je me jette sur la fenêtre et je hurle qu’on va m’enfermer. Les potes en-dessous font le bazar. Ils me ramènent dans ce cachot, je vois les militants postés à la grille. Courage ! Quatre heures dans ce cachot, avec rien, enfermée par deux gendarmes qui ont l’âge de mes enfants. On ne me laisse pas un gobelet d’eau sous prétexte que je pourrais le découper et l’avaler… ? Ils disent qu’ils ne sont pas psychologues, dommage. Je vais chanter, « Ma France » de Ferrat, des chansons d’amour et de lutte, ça résonne pas si mal ; le temps passe.
Retransfert. Je demande à voir mon avocat qui m’annonce que je serai présentée au juge d’Amiens le lendemain.
Le retour en cellule est une horreur. Je sais que ça ne durera pas, que ce n’est rien comparé à d’autres. Ma tête raisonne mais les larmes coulent toutes seules. Je réussis à gérer. Je m’endors mais un abruti me réveille en pleine nuit pour savoir si je vis toujours.
Vendredi 30 mai. Transfert à Amiens. Avant de partir j’offre à certains gendarmes mes dessins, ils ne paraissent pas insensibles. Je comprends qu’on va me menotter. Ils sont sur les dents. Départ donc menottée encadrée de trois gendarmes armés jusqu’aux dents avec des gilets pare-balles. On part en convoi, sirènes hurlantes, avec deux motards qui ouvrent la route, ils ont ordre de ne pas s’arrêter. Que doivent penser les personnes qu’on croise ? Que j’ai commis un infanticide ou découpé mon amant en morceaux ? J’essaie d’avoir de l’humour pour prendre du recul !
Arrivée à Amiens je vois mes potes et je lève les poignets dans leur direction ; on me tire à une telle allure dans le palais de justice que je manque tomber à terre. On attend, les cinq dans des « cages ». Les gendarmes se marrent entre eux. Je chante.
Verdict : je suis placée sous contrôle judiciaire jusqu’au procès qui doit avoir lieu le 1er juillet avec interdiction de rencontrer mes « complices » sinon c’est la prison immédiatement, m’a dit le juge. En clair on nous empêche de préparer notre défense ensemble. Ils ne connaissent pas (et n’aiment pas) l’action collective.
Ainsi l’objectif est clair :
- Faire passer les cinq personnes interpellées pour de dangereux illuminés ;
- Éviter tout débat démocratique et museler les opposants au projet ;
- Orienter l’agriculture vers une industrialisation avec des coûts les plus bas possible.
Des campagnes vidées de leurs paysans, sans vaches dans les champs, parsemées de grands bâtiments-usines ! Des scandales sanitaires à répétition, l’eau et le sol irrémédiablement pollués ! – comme c’est le cas pour les rivières de Franche-Comté.
Mais attention : trop de citoyens conscients vivent dans les campagnes pour qu’un tel projet passe. On est bien dans une action collective et, pour un enfermé, dix le remplacent.
Dominique Henry, institutrice et paysanne en retraite
Que faire ?
- Vous pouvez diffuser mon témoignage dans vos réseaux ;
- Adhérez à Novissen, aux amis de la Conf’ ;
- Vous pouvez envoyer un soutien financier à la Conf’ pour payer le procès.
Gardez votre liberté de penser et d’agir sans vous laisser influencer par les médias dominants. Il faut s’informer au quotidien dès que l’on consomme. On est tous citoyens du monde et responsables !
Adresses utiles :
- Novissen : 385 rue du Levant, 80132 Drucat, France.
- Confédération Paysanne : 104 rue Robespierre, 93170 Bagnolet, France.
- www. lesamisdelaconf.org
A reblogué ceci sur Blog Polémique de Pat Cansocalet a ajouté:
pas sûr que l’action citoyenne suffira à stopper les rapaces. Mais il faut commencer par là… Courage de tout coeur!